L’ITA de La Pocatière se meurt parce que l’agriculture des régions périphériques se meurt

Dans le débat sur l’avenir du campus de l’ITA à La Pocatière, le mérite passé de cette institution n’est pas en cause. Cette école est issue des succès et du rayonnement agricoles de la Seigneurerie de Kamouraska et de celles de la Côte-du-Sud au cours des deux derniers siècles. En lien avec un ensemble de centres complémentaires (porc, mouton, transformation, ferme-école, musée, cégep, etc.), elle a eu ses heures de gloire jusqu’à récemment avec des réalisations innovatrices dans la production horticole et laitière biologiques, la transformation alimentaire, l’insémination porcine, l’élevage ovin, l’implantation des brise-vents, les techniques équestres, la santé animale, la biodynamie, le compostage, les serres, etc.

Cependant, dans la plupart des domaines où La Pocatière a excellé, la recherche et l’innovation ont migré, ces dernières années, au Centre-du-Québec et en Montérégie. L’enseignement et l’expérimentation en horticulture et en production laitière et céréalière biologiques sont maintenant concentrés à Victoriaville (CETAB+), à l’IRDA à Saint-Bruno et dans des projets privés innovateurs comme la ferme multifonctionnelle Les Quatre-Temps à Hemmingford (Desmarais), les porcheries bio de DuBreton à Rivière-du-Loup ou les projets d’agriculture urbaine comme les Fermes LUFA à Montréal. Le campus de l’ITA à Saint-Hyacinthe, pour sa part, ressemble de plus en plus à un campus universitaire. C’est là que ça se passe désormais.

Surtout, c’est l’agriculture de pointe qui se concentre rapidement au Centre-du-Québec et en Montérégie : les grandes cultures, la production porcine, la production laitière avec les premières fermes de mille vaches, la production biologique, l’agrotourisme. L’est du Québec, comme toutes les autres régions périphériques, subit les effets déstructurants de politiques agricoles qui favorisent systématiquement cette concentration. Contrairement à des pays comme la Suisse, qui protège son agriculture en zone montagneuse par exemple, bien peu d’efforts ont été faits par le MAPAQ et l’UPA pour favoriser une agriculture territoriale, adaptée aux régions éloignées et peu peuplées, notamment une agriculture multifonctionnelle, axée davantage sur la production de créneau et de proximité, susceptible de mettre en valeur les riches terroirs de chacun de ces territoires. Conséquemment, les fermes disparaissent l’une après l’autre dans ces régions et les terres sont de plus en plus la proie des spéculateurs.

C’est ce renouveau de l’agriculture territoriale en régions éloignées qui pourrait permettre le renouveau de l’ITA de La Pocatière. On ne crée pas un institut de la nordicité au Mexique. L’ITA de La Pocatière pourrait devenir un institut spécialisé au service d’une agriculture multifonctionnelle et territoriale, à condition que cela puisse répondre aux besoins d’un projet dynamique d’agriculture d’occupation du territoire dans les régions périphériques.

Dans les conditions actuelles, malheureusement pour la région qui tient à cette institution, un enseignement technique agricole intégré au Cégep et bien adapté à la région serait peut-être plus utile et plus viable. Le Kamouraska compte encore plusieurs fermes familiales à dimension humaine et attire de plus en plus de jeunes qui s’investissent dans des projets agricoles innovateurs : des formations appropriées à ces porteurs de l’agriculture de demain en région seraient sans doute plus utiles qu’un institut de haut savoir agonisant, au service d’une agriculture de grands marchés, de plus en plus concentrés au Centre-du-Québec et de moins en moins axés sur nos besoins alimentaires et territoriaux.

Roméo Bouchard, Saint-Germain